PLF 2026 : état des lieux au 31 octobre 2025, analyse critique et points saillants des débats.
Revue fiscale FSJ – Dossier budgétaire
Présenté en Conseil des ministres le 14 octobre 2025, le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 entre dans une phase parlementaire à haut risque, le gouvernement ayant renoncé au 49.3 et misé sur des compromis « à ciel ouvert ».
Au 31 octobre, plusieurs votes significatifs ont déjà influencé l'architecture des recettes (indexation du barème de l'IR, prolongation et reprofilage de la surtaxe « grandes entreprises », relèvement de la taxe sur les services numériques, etc.), tandis que d'autres mesures restent âprement contestées (taxe « Zucman », taxe sur le patrimoine financier des holdings).
Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) s’est lui-même ému d’un cadrage macroéconomique optimiste aux rendements fragiles.
1) La trajectoire gouvernementale :
Le projet de budget prévoit un déficit public de 4,7 % du PIB en 2026, avec un retour annoncé sous 3 % en 2029.
Il prévoit une croissance estimée à 1,0 % en 2026.
Il accroit les charges de 10,5 Md€ pour les secteurs qu’il entend favoriser et notamment 6, 7 Md€ pour la défense ; le reste se réparti entre la justice, la sécurité, l’éducation et la transition écologique.
Il prévoit quelques économies structurelles, notamment sur la masse salariale, sur certaines aides, et par la rationalisation des dispositifs.
Du côté des recettes, environ 6,5 Md€ seront demandés aux hauts revenus/patrimoines (taxe sur le patrimoine financier, prolongation de la contribution différentielle hauts revenus).
S’y ajoutent la suppression de « niches » (~5 Md€), le gel des barèmes IR/CSG (ce qui équivaut à une augmentation de la charge fiscale des contribuables) et une reconduction partielle en 2026 de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices.
Parallèlement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 est axé sur une réduction du déficit du régime à 17,5 milliards d’euros en prenant comme hypothèse que l’année 2026 soit une « année blanche» de revalorisations, c’est-à-dire sans rehaussement des prestations sociales ni des pensions.
Les rédacteurs du projet, comptent sur une progression des recettes de 2,5 % qui serait mécaniquement produite par le soutient de la dynamique de l’emploi et par quelques mesures paramétriques destinés à œuvrer en faveur de l’équilibre financier du système. Parmi ces mesures figurent la hausse des franchises médicales ainsi que celles relatives aux participations complémentaires, sans parler de la mise en place de la fiscalisation des indemnités journalières versées au titre des affections de longue durée (ALD).
Le HCFP juge le scénario 2026 « optimiste ». L’effort structurel affiché, estimé à +1 point de PIB, est considéré comme élevé, mais le rendement des mesures annoncées apparaît fragile au regard des incertitudes économiques et de la mise en œuvre concrète des réformes.
Le niveau d’endettement public resterait très élevé, proche de 118 % du PIB en 2026, tandis que la charge d’intérêts atteindrait environ 74 milliards d’euros, soit 13 milliards de plus en deux ans, sous l’effet de la remontée des taux.
Le HCFP estime que la viabilité de l’objectif de déficit à 4,7 % du PIB repose sur une exécution budgétaire sans dérapage et sur la capacité du gouvernement à maintenir un compromis parlementaire durable autour de cette trajectoire.
2) Un calendrier serré :
Le Premier ministre Sébastien LECORNU a annoncé, le 3 octobre, renoncer à l'article 49.3 pour le budget 2026, privilégiant des accords transpartisans ; il a confirmé, le 24 octobre, cette ligne à l'ouverture des débats en hémicycle. Le déroulement récent des débats parlementaires pourrait ébranler cet engagement.
La Commission des finances de l’Assemblée nationale (20-23 octobre) : a rejeté la première partie (recettes), prélude à des débats de séance tendue.
Le rythme des débats est ralenti en raison du grand nombre d’amendements déposés. Le vote solennel sur la première partie du texte, initialement prévu pour le mardi 4 novembre, devrait ainsi être reporté, une nouvelle fenêtre étant désormais évoquée autour de la mi-novembre. Ce décalage intervient alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) doit, selon la Direction du Budget, débuter son examen le 4 novembre, ce qui accroît le risque de télescopage parlementaire entre les deux textes financiers majeurs de l’automne., les garde-fous procéduraux existent pour assurer la continuité et la légalité de la gestion budgétaire de l’Etat. Ils permettent de respecter les 70 jours constitutionnels garantissant au Parlement le temps nécessaire pour examiner et voter la loi de finances.
3) Ce que les députés ont déjà modifié au 31 octobre :
Selon La Chaîne Parlementaire, le barème de l'IR a été modifié avec le rétablissement en séance de l'indexation sur l'inflation de l'ensemble des tranches après une indexation partielle en commission. Cette mesure entraîne une perte de recettes par rapport à la version initiale, le gouvernement estimant l’impact de l’indexation générale à environ 2 milliards d’euros.
Les heures supplémentaires ont fait l’objet d’un vote de défiscalisation « intégrale », supprimant le plafond de 7.500 euros. Cette mesure est estimée à environ 1 Md€ selon le gouvernement.
La contribution différentielle sur les hauts revenus est prolongée « jusqu'au retour sous 3 % de déficit », avec un rendement annoncé d’environ 1,5 Md€ en 2026.
La contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises est reconduite en 2026, avec un profilage des taux finalement adoptés à 5 % pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 1 Md€ CA et 35,3 % pour celles dépassant 3 Md€. Le rendement porté à environ 6 Md€ contre 4 Md€ dans la version gouvernementale initiale).
La taxe sur les services numériques a été doublement votée, passant de 3 % à 6 %, avec un relèvement du seuil mondial de 750 M€ à 2 Md€. Le ministre des Finances a toutefois mis en garde contre d’éventuelles rétorsions américaines.
La CVAE fera l’objet d’une anticipation de sa suppression totale à 2028 au lieu de 2030, avec un ajustement du mode de compensation destiné aux collectivités.
Les pensions alimentaires bénéficient d’un principe de défiscalisation pour les bénéficiaires, sous réserve de plafonds, avec une neutralisation corrélative de l’avantage fiscal pour le débiteur.
la taxe sur le patrimoine financier des holdings a vu son assiette restreinte par l’Assemblée via un amendement, incluant une liste de « biens somptuaires » et un relèvement des seuils de détention. Aucun chiffrage consolidé immédiat n’a été fourni par le gouvernement ; la mesure reste emblématique mais techniquement mouvante.
La « Taxe Zucman » prévoyant des taux minimaux annuels sur les patrimoines supérieurs à 100 M€, a été rejetée en commission, mais reviendra en séance, constituant un point de cristallisation politique et technique.
Selon budget.gouv.fr, tous ces votes de première lecture restent suspendus à la navette parlementaire, à une éventuelle Commission Mixte Paritaire (CMP) et à l’adoption définitive de la loi de finances, et peuvent encore évoluer.
4) Points de vigilance pratiques pour les fiscalistes et directions financières
Selon la Chaîne Parlementaire, si l’indexation générale de l’IR 2026 est confirmée en loi, la hausse « mécanique » du prélèvement disparaîtrait, ce qui nécessite un recalibrage des impacts sur le prélèvement à la source et sur les avances.
L'éventuelle défiscalisation intégrale des heures supplémentaires, impose d'anticiper les paramètres payants et la communication interne ; Tandis que le rapport coût‑bénéfice doit être évalué en fonction de la structure des heures supplémentaires dans l’entreprise.
La trajectoire 2026 des grandes entreprises combine une surtaxe d’IS reprofilée et une TSN relevée, avec des points d’attention concernant les effets de base (périmètre du chiffre d’affaires, seuils de TSN), les risques de double imposition et les échanges transatlantiques.
Le champ d’application et l’assiette de la nouvelle taxe sur les holdings patrimoniaux restent encore incertains (délimitation des actifs « passifs » ou « somptuaires », seuils de contrôle) ; il est donc nécessaire de réaliser rapidement une cartographie des structures et de préparer des scénarios de reconfiguration.
L’horizon de suppression de la CVAE, avancé à 2028, modifie le phasage des allègements d’impôts de production ainsi que les modalités de compensation pour les collectivités ; il convient de suivre attentivement la navette parlementaire et les mécanismes de neutralisation.
Pierre ANDREAU